Il est incompréhensible que l’usage des pesticides dans l’agriculture fasse encore débat, alors qu’une voie alternative crédible a été ouverte depuis plus de quarante ans : l’agroécologie. Promettre aux agriculteurs de maintenir l’autorisation du glyphosate – l’herbicide le plus connu – tant qu’une solution de substitution ne sera pas trouvée, c’est faire preuve au mieux d’ignorance concernant les nombreuses avancées vertueuses dans le domaine agricole, au pire de compromission avec le lobby de l’agrochimie dont le pouvoir de nuisance est à la hauteur des bénéfices engrangés.
Au regard des dégâts occasionnés à l’environnement et à la santé humaine par des pratiques désormais d’un autre âge, qui de surcroît mettent en danger notre sécurité alimentaire et contribuent au réchauffement climatique, il est urgent de changer de modèle agroalimentaire. Voici des clés pour comprendre et agir.
Sommaire :
1. Entre ignorance et résistance au changement.
2. Qu’est-ce que l’agroécologie ?
3. Main-mise de l’agro-industrie sur le vivant.
4. Rendre notre agriculture vertueuse.
5. Ma propre démarche.
6. Conclusion.
7. Bibliographie et liens Internet.
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1) Entre ignorance et résistance au changement
Des approximations et des contre-vérités sont véhiculées par nos responsables politiques dans les médias, alors même qu’une part croissante de la population prend conscience des méfaits de l’agrochimie, se tourne vers l’alimentation bio quand elle le peut, et s’oppose de plus en plus violemment aux pratiques agricoles qu’elle rejette. La Fédération Nationale des Syndicats d’Exploitants Agricoles (FNSEA) et le syndicat des Jeunes Agriculteurs ont beau jeu de crier à l’agri-bashing ; ils ne rendent pas service à leurs adhérents qu’ils feraient mieux d’accompagner dans un changement de pratique inéluctable, les agriculteurs étant les premiers concernés par les risques sanitaires liés à l’agrochimie et bien souvent étranglés financièrement par un modèle économique obsolète. Les arguments avancés par beaucoup d’exploitants « conventionnels » montrent une méconnaissance de ce qu’est l’agroécologie, ainsi qu’une résistance au changement. Pires sont les attitudes de rejet, parfois même jusqu’au sein des coopératives, envers ceux qui ont choisi de changer de pratiques ; il me semble qu’ils devraient au contraire faire l’objet de curiosité. Il est enfin étonnant de constater que de nombreuses conversions d’exploitations au bio sont le fait de néo-ruraux, sans aucune attache antérieure à la terre.
Pourtant, en matière d’agroécologie, le temps des pionniers est achevé. De nombreuses exploitations fonctionnent sur ce modèle en Europe et à travers le monde, depuis les micro-fermes d’un ou deux hectares de maraîchage, jusqu’à des exploitations de grandes cultures de plusieurs centaines d’hectares. Elles trouvent leur équilibre financier, créent de l’emploi et surtout, s’inscrivent dans une démarche de partage d’expérience. Il est surprenant de ne pas voir, ou de ne pas avoir vu plus souvent dans les médias ceux qui ont ouvert la voie ou contribué à faire connaître au grand public les pratiques de culture biologique, comme Pierre Rabhi, Marc Dufumier, Dominique Soltner, ou bien encore Perrine et Charles Hervé-Gruyer de la ferme du Bec Hellouin, ou Paul François qui a fait condamner Monsanto. Il est plus surprenant encore de constater le peu de réactions face aux campagnes de dénigrement dont font l’objet ces gens qui œuvrent pour l’avenir, ainsi que l’absence totale d’intérêt pour les grandes cultures passées à l’agroécologie en Amérique du sud et au Canada. Il faut dire que les argumentaires bien rodés du lobby de l’agrochimie sont difficiles à contrer pour qui ne connaît pas la terre ; les Français seraient à peine 1 sur 150 à la toucher au quotidien, ce qui fait de nous une société déconnectée de notre agriculture, contrairement à nos ancêtres.
2) Qu’est-ce que l’agroécologie ?
C’est l’utilisation des dynamiques naturelles d’un écosystème pour cultiver des végétaux ou élever des animaux. Les produits de l’alimentation bio sont issus de techniques d’écoculture ou d’élevage qui mettent en application les principes de l’agroécologie, évitant d’avoir recours aux pesticides ou engrais de synthèse.
Par la photosynthèse, les plantes utilisent l’énergie solaire et le gaz carbonique de l’atmosphère pour fabriquer des glucides, puis des protides et des lipides, tout en relâchant de l’oxygène. Ce qui les rend indispensables à notre alimentation et à notre survie. Les végétaux ont également besoin d’eau et de nutriments qu’ils puisent dans le sol, comme l’azote, le phosphore, le calcium, le potassium et de nombreux autres éléments.
Deux solutions s’offrent à nous pour les cultiver. Soit leur apporter ces éléments essentiels sous la forme d’engrais de synthèse directement assimilables ; c’est l’agriculture conventionnelle. Soit favoriser la vie du sol pour que la microfaune, les champignons et les bactéries qui le peuplent, synthétisent naturellement ces mêmes éléments à partir de déchets qu’ils recyclent ou lors de symbioses ; c’est l’agroécologie.
Un cercle vicieux
En nourrissant directement la plante cultivée en agriculture conventionnelle, on court-circuite la vie du sol qui dépérit. Non seulement la terre devient un substrat inerte, qui de surcroît stocke difficilement l’eau et le carbone, mais c’est toute la biodiversité qui est atteinte, générant des déséquilibres à l’origine de développements excessifs d’adventices (végétaux envahissant la culture), de ravageurs, de champignons pathogènes. On est alors dans l’obligation d’utiliser des pesticides – herbicides, insecticides, fongicides – pour sauver la culture en détruisant les agents qui la mettent en danger. Sauf qu’en faisant cela, on accentue encore la destruction de la vie du sol, générant des déséquilibres encore plus grands, qui nécessitent l’emploi de toujours plus de pesticides et d’engrais de synthèse. Un cercle vicieux qui met en danger notre santé – provoquant cancers, neuropathies, troubles hormonaux – mais aussi notre sécurité alimentaire avec la destruction des abeilles et autres pollinisateurs pourtant indispensables aux cultures. La dangerosité pour l’humain des pesticides n’est plus à démontrer, avec de très fortes suspicions concernant un effet cocktail. De plus, leur consommation a augmenté de 20% ces dix dernières années malgré le plan Ecophyto, n’en déplaise à la FNSEA avec sa communication mensongère sur l’évolution supposée des pratiques des agriculteurs en la matière.
D’autre part, l’agriculture conventionnelle contribue fortement au réchauffement climatique par l’émission massive de protoxyde d’azote et de méthane, liés respectivement à l’utilisation excessive d’engrais de synthèse azoté et à l’élevage industriel. Le protoxyde d’azote et le méthane sont de puissants gaz à effet de serre dont les émissions cumulées correspondraient en équivalent carbone à 1/5e des émissions mondiales.
Préserver l’humus
L’humus est la partie supérieure du sol dans lequel les déchets organiques sont transformés en matières minérales assimilables par les végétaux, grâce à l’action de la microfaune et des micro-organismes qui la peuplent. C’est cette même couche qui contribue au stockage du carbone dans le sol et à la rétention de l’eau. En agroécologie, c’est l’élément le plus important qu’on préserve en évitant de retourner la terre, afin de ne pas enfouir les organismes de surface et ne pas exposer à l’air ceux qui vivent en profondeur. Ce sont par exemple les « Techniques Culturales Simplifiées » qui visent à se passer du labour, en semant sous le couvert d’une culture intermédiaire que l’on broie et qui sert « d’engrais vert ». Depuis 20 ans, la revue TCS – que tout agriculteur devrait lire – relate les expériences de nombreux exploitants pour se passer des pesticides et engrais de synthèse et tendre vers l’agroécologie. Ceci à travers des approches que l’on nomme agriculture de conservation, agriculture regénérative, écologiquement intensive, semis direct, pour aboutir à l’agriculture biologique de conservation où l’usage de tout intrant de synthèse a été supprimé.
L’agroécologie ne signifie pas pour autant absence de mécanisation. Ceux qui ont ouvert la voie ont bien souvent inventé et fabriqué leur propre matériel comme les semoirs de semi direct et autres dispositifs mécaniques adaptés à l’écoculture. Ce matériel est aujourd’hui produit par des entreprises spécialisées.
Alors à quoi sert le labour pratiqué depuis l’invention de l’araire et de la charrue, hormis pour enfouir ce qui ne devrait pas l’être ? Et bien principalement à ameublir le sol pour que l’eau y pénètre. En agroécologie, ce sont les vers de terre qui s’en chargent, creusant jusqu’à quatre cents mètres de galeries sous chaque mètre carré de terre, elles-mêmes colonisées par des milliards de bactéries utiles. Un sol cultivé en écoculture absorberait jusqu’à dix fois plus d’eau qu’en agriculture conventionnelle. Un postulat intéressant quant il s’agit d’éviter le ruissellement des pluies sur les terres et faire face aux inondations qui se multiplient avec le changement climatique.
En agroécologie, les techniques de culture sont nombreuses et continuent à faire l’objet de recherches et d’expérimentations. Elles vont du simple paillage des sols aux associations complexes de végétaux, dans le but de stimuler le développement de l’humus et entretenir la biodiversité qui garantit les équilibres naturels.
3) Main-mise de l’agro-industrie sur le vivant et dépendance aux énergies fossiles
Un modèle économique obsolète
A l’occasion du dernier salon de l’agriculture, un exploitant représentant le syndicat des Jeunes Agriculteurs affirmait que le passage au bio aggraverait le réchauffement climatique. Selon lui, l’abandon des herbicides obligerait à retourner plus souvent la terre pour combattre les adventices, la suroxygénation du sol entraînant un destockage massif du CO2. Si ce dernier point est vrai dans l’absolu, l’affirmation est complètement fausse pour la conversion au bio, les techniques d’écoculture visant justement à ne plus retourner la terre ; cela démontre une nouvelle fois la méconnaissance en agroécologie des professionnels du secteur, y compris de la nouvelle génération.
Si l’agriculture conventionnelle ne contribue pas à stocker le carbone de l’atmosphère, elle est en plus complètement dépendante des énergies fossiles. D’abord pour le carburant des machines, le labour étant le travail qui demande le plus de puissance, donc de carburant. Mais aussi pour la fabrication des engrais, de l’extraction minière de la matière première comme la potasse à la synthèse industrielle des produits. L’engrais azoté, utilisé en quantités considérables à travers le monde, s’obtient à partir du gaz naturel ; ce dernier est à la fois la matière première et la source d’énergie pour provoquer la réaction de synthèse de l’ammoniac, l’élément à partir duquel on fabrique l’engrais.
Économiquement, le modèle de l’agriculture conventionnelle est voué à l’échec, utilisant des ressources fossiles dont le prix ne peut qu’augmenter avec la diminution des gisements planétaires et la croissance de la demande liée aux pays émergents, diminuant d’autant les perspectives d’une rentabilité déjà mise à mal par l’industrie agroalimentaire. Si les rendements des cultures ont considérablement augmenté depuis les années 1950, la rentabilité a chuté en proportion, générant toute une classe de petits exploitants pauvres incapables de se rémunérer décemment pour leur travail. Pour toutes ces raisons, l’agriculture conventionnelle n’a aucun avenir et ne nourrira pas les dix milliards d’humains qui peupleront le monde en 2050.
Entre désinformation organisée et dépendance à la chimie
Alors qu’est-ce qu’on attend pour convertir notre agriculture à l’agroécologie ? Pourquoi autant de blocages ?
Il y a d’abord l’intense lobbying d’une industrie de l’agrochimie qui est prête à toutes les manipulations pour engranger un maximum de bénéfices. En 2008, Marie-Monique Robin avait déjà mis en lumière les méthodes véritablement criminelles de Monsanto dans le film documentaire « Le monde selon Monsanto ». Les géants de l’agrochimie – qui sont principalement Syngenta, Bayer-Monsanto, BASF, Corteva (Dow Chemical et DuPont) – sont capables d’influencer nos dirigeants jusqu’au plus haut niveau de l’État. Je fais ici allusion à l’amendement législatif voté en avril 2019 avec le soutien du gouvernement français, heureusement retoqué depuis par le Conseil Constitutionnel, puis le Conseil d’État. Il annulait les effets de l’article 83 de la loi Egalim, qui interdit la production et l’exportation vers des pays tiers de substances prohibées en Europe en raison de leur toxicité. Ces substances interdites étant évidemment destinées aux pays émergents, à commencer par ceux du continent africain ! Je me suis souvent demandé comment les membres des conseils d’administration de ces multinationales, qui ont sûrement des enfants, pouvaient se regarder en face.
Il y a ensuite les conséquences de 70 ans d’agriculture chimique. Selon Marc Dufumier, l’un des pères de l’agroécologie, le passage à l’agriculture biologique pose peu de difficultés dans les pays émergents dont les terres de sont pas encore dégradées, car le manque de moyens économiques freine l’usage de pesticides et d’engrais de synthèse. Les rendements des cultures s’en trouveraient même très vite augmentés, apportant une solution à la malnutrition.
En revanche, c’est un tout autre problème dans nos pays développés, dont les terres cultivables sont parfois littéralement stérilisées par l’abus de chimie depuis des dizaines d’années. La conversion à l’agroécologie se solde alors par une chute du rendement, que ne compense pas la suppression des coûts liés aux intrants (pesticides, engrais de synthèse), d’autant plus qu’il faut souvent davantage de main d’œuvre et adapter une partie du matériel. Comme plusieurs années sont nécessaires pour que les terres se régénèrent, les exploitants préfèrent poursuivre sur la voie de l’agriculture conventionnelle, avec une dépendance toujours plus grande à l’agrochimie.
Des OGM contre la famine
D’après les agro-industriels, l’agriculture conventionnelle serait le seul modèle viable pour endiguer les famines sur une planète de plus en plus peuplée, notamment avec l’introduction d’OGM (organismes génétiquement modifiés) présentés comme la solution miracle. Pourtant, la malnutrition continue de progresser en Asie et en Afrique malgré la présence croissante des géants de l’agro-industrie. Les cultures OGM, dont les performances sont par ailleurs discutables, consomment davantage d’eau et de nutriments que les cultures traditionnelles, épuisant les terres et nécessitant l’apport d’engrais de synthèse. En outre, les semences OGM coûtent plus chers que les semences classiques et doivent être rachetées chaque année, plaçant les petits producteurs sous la dépendance économique des firmes. S’il s’agit d’un modèle d’avenir, c’est surtout pour les industriels.
Le mirage de l’agriculture de précision
Sentant la bataille de l’opinion perdue, le lobby de l’agrochimie a changé de stratégie et communique sur un nouveau concept : l’agriculture de précision. Grâce à une conduite très fine des cultures et la mise au point de matériel de haute technologie, il serait possible d’utiliser des quantités réduites de pesticides en les pulvérisant avec précision sur la cible, réduisant les conséquences sur l’humain et sur l’environnement. Non seulement cela revient à reconnaître les méfaits des pratiques conventionnelles défendues jusqu’alors, mais parler d’agriculture de précision en terme de pesticides, c’est comme parler de guerre chirurgicale, c’est toujours détruire. Nos cellules sont suffisamment semblables à celles des ravageurs pour qu’elles soient impactées, même si c’est dans une moindre mesure. Hormis pour les riverains des exploitations agricoles, le problème n’est pas tant la part de pesticides emportée par le vent, mais celle que nous ingérons en consommant la culture traitée. Même en quantité infinitésimale, c’est l’effet combiné de centaines de molécules toxiques différentes sur notre organisme qui est à craindre, et pas simplement la concentration à ne pas dépasser pour un produit donné. Quant à prétendre que les pesticides se dégradent dans la terre sans laisser de trace, c’est un discours qui a déjà été servi pour le glyphosate. Or nous savons aujourd’hui que nous en avons tous dans le corps.
Une dépendance aux semenciers
Le tableau ne serait pas complet sans aborder l’existence des catalogues officiels de semences et l’interdiction de commercialiser toutes celles qui n’y figurent pas. En Europe, la somme des catalogues nationaux constitue le Catalogue européen des espèces et variétés, mais il en existe également dans de nombreux pays à travers le monde.
Sous prétexte de traçabilité et de critères de qualité concernant les semences, il s’agit d’une incroyable main-mise sur le vivant de la part des industriels de l’agrochimie qui sont aussi les grands semenciers. Que Bayer-Monsanto, Syngenta, Corteva ou Limagrain aient voulu protéger les innovations apportées à certaines variétés pour qu’elles soient plus productives ou résistantes à certaines maladies, on peut le concevoir. Mais que le lobby industriel des semenciers se soit arrangé pour faire interdire le commerce et même l’échange de toute semence ne figurant pas sur ces catalogues, c’est inacceptable et revient à placer la population mondiale sous sa dépendance économique. Car il est impossible de ressemer les semences inscrites aux catalogues officiels en les prélevant sur sa récolte précédente, soit parce qu’elles sont non reproductibles (les hybrides F1), soit tout simplement parce qu’elles sont la propriété industrielle du semencier qui a procédé à son inscription par ailleurs coûteuse. Pourtant, c’est bien de cette façon que des centaines de générations de cultivateurs ont travaillé depuis le néolithique, prélevant à chaque récolte, sur les meilleurs plants, les semences de l’année suivante. Les qualités gustatives et nutritives des innombrables variétés de plantes que nous consommons, sont le résultat de ce long travail de sélection.
Cette confiscation du patrimoine de l’humanité est inadmissible et met de surcroît en danger notre sécurité alimentaire en réduisant la biodiversité. Contrairement aux semences dites « paysannes », les variétés modernes inscrites aux catalogues sont toutes plus ou moins issues des mêmes souches. Si elles ont été conçues pour être productives, la pauvreté de leur patrimoine génétique les rend vulnérables face aux changements climatiques ou à de potentielles épidémies de virus qui pourraient provoquer de grandes famines à travers le monde. En France, la loi Biodiversité de 2016 a légèrement assoupli les dispositions du catalogue officiel, sous la pression de l’opinion publique et des actions en justice des réseaux militants comme Semences paysannes ou l’association Kokopelli. Cela reste insuffisant et il y a urgence : d’après le réseau Semences paysannes, le monopole des semenciers industriels aurait provoqué la disparition de 75% de la biodiversité cultivée en 50 ans.
Cette dépendance aux grands chimistes-semenciers entrave le changement de modèle agricole. Elle est particulièrement flagrante avec l’utilisation de soja OGM spécialement conçu pour résister au glyphosate ou encore l’enrobage systématique des semences par des pesticides. Deux techniques particulièrement impactantes sur la santé humaine et l’environnement, mais représentant des enjeux économiques colossaux à l’échelle de la planète.
4) Rendre notre agriculture vertueuse
Alors que faire ?
Tout d’abord, faire pression sur nos politiques pour que soit décrété l’état d’urgence dans le domaine de l’agriculture et de l’alimentation, afin que des mesures d’exception soient prises. Il faut opérer une rupture avec notre modèle agricole et non une transition progressive vouée à l’échec, compte tenu de l’absence de scrupule des industriels de l’agrochimie et de la compromission des syndicats qui leurs servent de relais. La cupidité n’est-elle pas le pire des maux dont souffre l’humanité ?
Tout comme pour le réchauffement climatique, nous n’avons plus le temps d’attendre. Comment imaginer que la population, qui est désormais informée, accepte de s’empoisonner encore quelques années, voire quelques décennies, par réalisme économique ? Aujourd’hui, des groupes isolés d’individus caillassent des tracteurs ou s’en prennent à des installations agricoles. Et demain ?
Par des mesures d’exception, il faut préserver les marges économiques de nos exploitations agricoles, tout en pénalisant l’entrée sur le marché des produits issus de cultures conventionnelles grâce à la taxe carbone et pourquoi pas, d’une taxe pour réparation des atteintes à la biodiversité.
Au niveau de l’Europe, les aides de la Politique Agricole Commune doivent être réaffectées en priorité aux exploitations en conversion à l’agroécologie. La France peut jouer un rôle moteur avec les pays du nord et l’Italie qui sont en avance sur la préservation de l’environnement et la culture bio.
Il faut ensuite diligenter des experts dans chaque exploitation pour mettre au point un plan de conversion, car en matière d’écocultures, le métier d’agriculteur est entièrement à réapprendre. De plus, aucune solution « clé en main » n’est applicable : il faut prendre en compte l’histoire d’une exploitation, son potentiel écosystémique, son climat… L’Institut National de Recherche pour l’Agriculture, l’Alimentation et l’Environnement (INRAE) aurait ici un grand rôle à jouer, tout comme les Instituts Techniques Agricoles qui s’investissent beaucoup dans la recherche en agroécologie.
La mise en place de circuits courts est également nécessaire afin que ce mode de distribution redevienne la norme au moins pour les produits frais, ceci pour éviter une hausse des prix, réduire l’impact environnemental et rétablir la confiance entre les producteurs et les consommateurs. Un label développement durable est également nécessaire pour les réseaux de distribution sur le modèle commerce équitable, garantissant un faible impact environnemental et une marge minimum aux producteurs.
Enfin, il est fondamental de créer juridiquement la notion de « crime d’écocide » afin de mettre les grands groupes agro-industriels devant leurs responsabilités face à l’humanité et faire appliquer la notion de pollueur-payeur.
De telles réformes demanderont beaucoup de volonté politique et il est peu probable que nos dirigeants aient envie de les mener. Pourtant, notre histoire récente a montré que le manque de courage menait aux catastrophes. Certes, des pans entiers de notre économie vont disparaître, mais d’autres les remplaceront. Le chantage à l’emploi déjà entamé par l’agrochimie ne fait pas le poids face aux enjeux de santé publique, de sécurité alimentaire et de préservation de l’environnement.
Alors que faire à notre niveau de citoyen ?
Tout d’abord voter, pour sanctionner nos représentants lorsqu’ils ne sont pas à la hauteur des enjeux et tenter d’en faire émerger d’autres.
Boycotter ensuite le plus possible les produits issus de l’agriculture conventionnelle ainsi que les produits frais importés, ceci pour soutenir l’émergence d’un modèle vertueux tant pour notre santé que pour notre environnement. Manger bio ne coûte pas plus cher lorsqu’on privilégie les circuits courts et les produits de saison ; cela demande en revanche un peu de temps et d’énergie, au moins au début, pour trouver les bonnes filières d’approvisionnement. Et c’est tellement meilleur à tout point de vue ! Attention cependant au bio industriel que la grande distribution met en avant et qui se révèle souvent être un leurre, comme le bio d’Espagne issu des cultures intensives d’Almería.
Enfin, il est indispensable de faire circuler l’information et d’éveiller les consciences. Un citoyen éduqué et informé est plus difficilement influençable et contribue activement à l’amélioration de notre société.
5) Ma propre démarche
Qu’est-ce qu’un tel article vient faire sur un site consacré à des projets audiovisuels, centrés pour les derniers sur des recherches historiques ?
C’est justement l’histoire de nos ancêtres qui m’a poussé à découvrir l’agroécologie. Tout a commencé par la rénovation de l’ancien fournil du moulin de Sugy, dans le Haut-Berry, à l’aide de techniques et de matériaux traditionnels. Du four au pain, il n’y avait qu’un pas que j’ai vite franchi grâce à deux ouvrages écrits sur le sujet par M. Parmentier au XVIIIe siècle. Mais faire du pain à la manière ancienne avec de la farine de blés modernes, avec du gluten ajouté de surcroît, cela ne collait pas, ou plus exactement, cela collait trop ! Alors je me suis intéressé aux céréales anciennes afin de les cultiver, et j’ai découvert l’incroyable existence des catalogues officiels de semences et de la loi inique qui interdit de commercer toutes celles qui n’y figurent pas.
Je me suis alors procuré, comme d’autres avant moi, ces semences « interdites » de variétés anciennes, véritable patrimoine de l’humanité, et je les ai semées. Par militantisme, dans un esprit de liberté, pour la biodiversité. Et pas seulement du blé, mais toutes sortes de variétés de légumes, à commencer par les plus trafiquées et les plus insipides quand elles viennent du commerce : les tomates ! Tout ceci bien sûr sans la moindre chimie, en m’inspirant de ce que faisaient nos ancêtres et en complétant mes connaissances en biologie de la terre.
Après quelques essais et un peu de persévérance, j’ai découvert combien l’approche agroécologique, alliée à la richesse génétique de variétés anciennes, permettait des récoltes foisonnantes de céréales et de légumes goûteux et riches en éléments nutritifs, malgré les aléas climatiques. Depuis, j’ai entrepris de transformer le site du moulin pour tester diverses techniques d’écoculture, profitant d’un écosystème riche de deux cours d’eau, de zones boisées et d’une prairie.
Le but n’est pas de vendre les produits cultivés, mais de relever un défi : prouver que par l’utilisation des dynamiques naturelles d’un écosystème et d’un peu de technologie, il est possible de produire assez de fruits et légumes pour une douzaine de personnes avec l’équivalent d’une seule journée de travail par semaine, ce qui est très peu ! Au XVIII et XIXe siècle, beaucoup de maisons disposaient d’un potager, y compris dans Paris, ce qui n’empêchaient pas les maraîchers d’exister. C’est cette expérience que je souhaite partager et que j’ai entrepris de relater dans un film que je tourne au fil des saisons. Les photos qui illustrent cette page sont extraites des rushes (cliquer ou appuyer sur les images pour voir le diaporama).
6) Conclusion
L’agroécologie n’est ni un retour en arrière ni une vision idéalisée du passé. Si elle était pratiquée par nos ancêtres, c’est de manière intuitive, faute d’une connaissance approfondie de la biologie de la terre et des écosystèmes. Elle s’accorde parfaitement avec l’utilisation d’outils technologiques pour conduire les cultures, se décline sous tous les climats et peut prendre des formes très étonnantes comme l’aquaponie telle que la pratiquaient les Aztèques ou les Chinois. A l’inverse de l’agriculture conventionnelle qui déséquilibre les écosystèmes parce qu’elle détruit pour produire, l’agroécologie utilise les dynamiques naturelles pour équilibrer et produire.
L’humain est à une période charnière où deux options s’offrent à lui : disparaître après avoir détruit son écosystème, ou bien dépasser sa nature prédatrice et gérer les ressources naturelles de la planète comme un bien commun et précieux. Alors seulement à cette condition, il pourra poursuivre sur le chemin de l’évolution.
Alexandre Eymery
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7) Bibliographie et liens Internet
Pour ceux qui s’intéressent à la dégradation de notre environnement, à l’érosion de la biodiversité et au réchauffement climatique, voici quelques ouvrages…
L’Agroécologie peut nous sauver, de Marc Dufumier et Olivier Le Naire – Actes Sud
Un entretien passionnant avec Marc Dufumier, ingénieur agronome, pour expliquer en quoi la révolution agroécologique est une réponse concrète à beaucoup des maux de notre monde moderne, tels que la famine, la pollution, le réchauffement climatique, les inégalités mondiales ou les migrations contraintes. Marc Dufumier est l’un des pères de l’agroécologie dans les années 1980. Il a réalisé de nombreuses missions de développement agricole dans les pays du sud.
Le tic-tac de l’horloge climatique, de Christian de Perthuis – De Boeck Superieur
Un ouvrage clair et rigoureux pour comprendre les enjeux économiques et environnementaux du réchauffement climatique, notre dépendance aux énergies fossiles et la nécessité pour nos sociétés de remettre en cause leurs modèles de croissance. Christian de Perthuis est professeur d’économie à l’université Paris-Dauphine. Il a notamment présidé le Comité pour la Fiscalité Écologique à l’origine de l’introduction de la taxe carbone en France.
Vers la sobriété heureuse, de Pierre Rabhi – Actes Sud
Avec sa sagesse habituelle, Pierre Rabhi appelle à rompre avec un ordre anthropophage appelé « mondialisation » par la modération de nos besoins et la répartition équitable des ressources communes à l’humanité. « La sobriété heureuse, c’est faire le choix d’une sobriété libératrice et librement consentie, c’est remettre l’humain et la nature au cœur de nos préoccupations. » Pierre Rabhi est écrivain-paysan, auteur de nombreux ouvrages dont La Part du colibri. Plusieurs fois décrié par le passé pour l’aspect ésotérique de ses méthodes de culture appliquées en France et en Afrique, il dérange surtout par ses prises de position contre l’agro-industrie et la mondialisation. Il est de ceux qui ont ouvert la voie de l’agroécologie.
Et pour ceux qui souhaitent revenir à la terre, pour un simple potager ou davantage :
Mon potager au naturel, de Gilles Dubus – Les éditions du jardinier bio
Un manuel pour lequel j’ai eu un véritable coup de cœur et que j’utilise depuis plusieurs années. Gilles Dubus, ancien arboriculteur et maraîcher bio, apporte son savoir et son expérience à travers des fiches de culture très concrètes pour chacune des variétés du potager. En version électronique, e-book ou pdf, à télécharger depuis un blog par ailleurs passionnant.
www.un-jardin-bio.com
Le potager du paresseux, de Didier Helmstetter – Tana éditions
Travailler moins pour ramasser plus ! Un sous-titre en forme de boutade pour un ouvrage sur la biologie du sol et sur une méthode originale, la « phénoculture »… De l’agroécologie appliquée au potager par un ingénieur agronome ayant notamment dirigé des programmes de recherche en France et en Afrique pour améliorer les systèmes de production paysans.
Vivre avec la terre, de Perrine et Charles Hervé-Gruyer – Actes Sud
Un magnifique coffret de trois ouvrages sur l’approche agroécologique de la ferme du Bec Hellouin en Normandie, avec de superbes illustrations. « Culture des légumes et des fruits, forêt-jardins, petit élevage, céréales jardinées, outillage, conception d’une microferme sous tous ses aspects… Un manuel pour tous ceux, amateurs ou professionnels, qui désirent créer une ferme ou un jardin naturel et productif. » La ferme du bec Hellouin mène des expériences d’écocultures qui font l’objet d’un suivi par l’INRAE.
Guide de la nouvelle agriculture, de dominique Soltner – Sciences et techniques agricoles
L’agroécologie appliquée aux exploitations agricoles pour une « agriculture sur sol vivant ». Un guide pour les agriculteurs qui divisent par deux le travail et les coût, qui produisent autant, gardent et sauvent leur Terre ! Dominique Soltner, ingénieur agricole, est également l’un des pères de l’agroécologie et France.
La revue TCS, pour une agriculture de conservation
La revue que tout agriculteur devrait lire sur les Techniques Culturales Simplifiées, dirigée par Frédéric Thomas. Pour sortir de la dépendance aux pesticides et engrais de synthèse et tendre vers l’agroécologie.
Disponible sur le site : agriculture-de-conservation.com
Semences de Kokopelli, de Dominique Guillet
Un guide mis à jour au fil des éditions, répertoriant plus de 2700 variétés alimentaires et 200 variétés florales cultivées à travers la planète. C’est aussi un manuel permettant aux jardiniers et maraîchers de produire leurs propres semences en toute pureté variétale.
kokopelli-semences.fr
Pour en savoir plus sur les semences paysannes, patrimoine de l’humanité, et la main-mise de l’agro-industrie sur le vivant :
Le réseau Semences paysannes
Un réseau de cultivateurs et de jardiniers passionnés, engagés pour la préservation des semences paysannes libres de droit et reproductibles.
www.semencespaysannes.org
Pour se procurer des semences de variétés anciennes, libres de droit et reproductibles, issues de l’agriculture biologique :
Kokopelli
A découvrir également pour ses actions à l’égard de pays en voie de développement, afin d’aider les paysans à sortir du joug des grands semenciers.
kokopelli-semences.fr
Graines del Païs
www.grainesdelpais.com
Germinance
www.germinance.com
Le Biau germe
www.biaugerme.com
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