Par Alexandre Eymery
Pour être réussie, la captation vidéo d’un spectacle vivant doit mettre en valeur le travail des artistes, sans trahir la mise en scène, en reproduisant l’expérience du spectateur qui assiste à la représentation. Une gageure en fait. Un spectacle vivant fonctionne sur l’échange émotionnel entre les artistes et le public, rendu possible par leur proximité. Le spectateur vibre à la performance de l’artiste, à l’énergie qu’il en reçoit ; puis il porte à son tour l’artiste dans son jeu lorsqu’il manifeste de l’émotion. C’est plus qu’un échange, c’est une communion qui se produit lorsque la magie du spectacle opère, qu’il s’agisse d’un concert de musique, d’une pièce de théâtre ou d’un ballet.
Sauf que cela ne fonctionne pas à travers un écran. On pourrait penser que filmer un spectacle en plan large, en plaçant une caméra dans le public, suffit à reproduire l’expérience du spectateur en terme d’intérêt. Mais avec ce dispositif, la vidéo deviendra vite ennuyeuse, quelle que soit la qualité de la prestation artistique et la taille de l’écran. Et que dire d’un visionnage de cette même vidéo sur un téléphone portable, en remplaçant éventuellement le son par des sous-titres ? Une invitation à scroller à autre chose…
Pour surmonter cet écueil, il faut construire une captation vidéo selon des conventions de narration propres à l’image. C’est à dire en se servant de plans de valeurs et d’axes différents, avec lesquels on va focaliser l’attention du spectateur et par là même recréer une intimité avec l’artiste. Et c’est là tout le paradoxe : parvenir à donner l’illusion d’être présent à une représentation, dont la diffusion est en différé, grâce à des points de vue inédits pour le public. L’utilisation de plans rapprochés permet d’accentuer l’immersion du spectateur par l’illusion d’être sur scène avec les artistes, compensant le fait qu’il ne puisse plus interagir avec eux et le reste de la salle.
Pour une question de compréhension du jeu scénique, cela nécessite de montrer l’ensemble comme le détail. C’est particulièrement vrai pour le ballet : une chorégraphie s’apprécie dans sa globalité, par sa construction dans l’espace du plateau, tandis que l’interprétation d’un danseur se lit jusqu’à l’expression de son visage. Le spectacle vivant rejoint alors l’univers du cinéma, bien qu’il s’agisse de deux modes d’expression presque antagonistes tant les ressorts sont différents. Par exemple, la notion de hors champ n’existe pas sur scène alors qu’elle est primordiale pour la narration par l’image.
La captation d’un spectacle vivant est donc une recréation de ce dernier, une transposition d’un mode et même d’un monde artistique à un autre. Il ne s’agit pas d’inventer autre chose, mais de réaliser une adaptation à la manière d’un arrangeur en musique. Retranscrire sans trahir ce qui fait l’esprit d’un spectacle, pour conserver l’émotion qu’il suscite chez le spectateur, au-delà même de la compréhension de ce qui se déroule sur scène. Capter un spectacle ne consiste donc pas simplement à l’enregistrer : c’est le transposer.
Dans ces conditions, la question de l’intérêt d’une captation peut se poser dans la production d’un spectacle vivant, car elle dénature ce dernier. L’art de la scène existe depuis l’Antiquité sans qu’on ait eu besoin de conserver autre chose que le texte d’une œuvre ou sa partition musicale, car il s’agit d’un art de l’éphémère.
Dans notre société abreuvée d’images, il devient cependant difficile de vendre un spectacle sans disposer d’une bande-annonce ou d’un teaser pour susciter l’intérêt. Sauf que leur réalisation demande beaucoup de soin, de sensibilité et de moyens techniques.
Un nombre croissant de programmateurs prennent l’habitude de se fier à la vidéo, à condition de pouvoir visionner l’ensemble du spectacle et pas uniquement des extraits qui peuvent être trompeurs. La diffusion d’une captation médiocre sur sa durée s’avérera désastreuse, réduisant à néant tout ce qui fait la qualité d’une création. Il vaudra mieux en ce cas ne rien montrer et privilégier l’invitation des programmateurs à des show-cases et des représentations. Tout est donc une question d’adéquation entre les contraintes de promotion et les moyens financiers disponibles, car la réalisation d’une belle captation vidéo a un coût et doit être considérée comme un investissement à rentabiliser.
Enfin, une captation vidéo n’est pas une opération mécanique, reproductible, purement technique. C’est la rencontre de deux univers artistiques : celui du spectacle, de son metteur en scène et de ses artistes, avec celui du réalisateur de la captation. Car il s’agit bien d’une nouvelle étape de création qui prolonge un travail d’équipe préexistant. Il faut donc là aussi qu’une alchimie opère entre tous les intervenants.
Exemples de configurations :
Quelques images de configurations techniques au théâtre de La Celle Saint-Cloud (78), où je réalise régulièrement des prestations. Les images de ballets sont tirées des magnifiques galas de l’école Danse et Vie Celloise, chorégraphiés et mis en scène par Charlotte Schuller. Ils font l’objet d’une création lumière splendide par le régisseur attitré du lieu, Stéphane Ivonine, avec Raphaëlle Six pour la partie son. J’ai le plaisir de filmer ces spectacles depuis des années, en collaboration avec cette belle équipe. Les captations s’effectuent de concert avec la régie technique, pour harmoniser l’image à l’éclairage scénique et réaliser la prise de son.